COVID-19 : Pourquoi ce n’est pas qu'une petite grippe de plus
En France, chaque année la grippe saisonnière touche entre 2 et 8 millions de personnes et entraîne entre 10 à 15.000 décès, principalement chez les personnes plus âgées et fragiles. En date du 18 mai, l’épidémie COVID-19, associée au nouveau coronavirus SARS-CoV-2 a fait, toujours en France, plus de 28.000 décès. Les débats autour de la virulence des deux maladies se poursuivent, suggérant parfois que COVID-19 ne serait qu’une épidémie de grippe un peu plus sévère. Cette nouvelle analyse de chercheurs de la Harvard Medical School et du Brigham and Women’s Hospital (BWH, Boston), présentée dans le JAMA Internal Medicine, précise, sur les données américaines, les limites de la comparaison.
L’étude est menée aux Etats-Unis au début de ce mois de mai 2020. A cette date, environ 65.000 personnes aux États-Unis sont décédées de COVID-19, un nombre similaire au nombre estimé de décès dus à la grippe saisonnière (Source : Centers for Disease Control and Prevention - CDC). Cependant, certains signes interrogent sur cette équivalence apparente de décès liés à COVID-19 et à la grippe saisonnière, dont la pénurie de respirateurs, ou la nécessité de transformer certains services hospitaliers en unités de soins intensifs pour prendre en charge les patients COVID-19. Un tel phénomène ne s’était jamais produit avec la grippe saisonnière. En dépit de cette pénurie jamais connue auparavant, certains experts voire organismes publics continuent les comparaisons entre la mortalité liée à la grippe saisonnière et à SRAS-CoV-2, souvent dans le but de minimiser les effets de la pandémie en cours.
On ne peut comparer des données enregistrées avec des données extrapolées
Aux Etats-Unis, le CDC présente la morbidité et la mortalité liées à la grippe saisonnière non pas comme des chiffres bruts mais comme des estimations à partir des données de réseaux de surveillance : ainsi sur les périodes 2013 à 2014 et 2018 à 2019, alors que le nombre de décès enregistrés de la grippe saisonnière se situait entre 3.448 and 15. 620, le CDC a estimé ce même chiffre entre 23. 000 et 61 .000. Ainsi, pour la grippe, et toujours aux Etats-Unis, les estimations des décès attribuables à la grippe sont près de 6 fois supérieures aux chiffres confirmés.
- Inversement, les décès par COVID-19 sont actuellement comptés et signalés directement mais non estimés.
- Ainsi, il n’est pas possible de comparer un nombre de décès directement enregistrés (COVID-19) avec un nombre de décès estimé (grippe).
COVID-19, 20 fois plus meurtrier que la grippe ? L’exercice est ensuite réalisé sur une semaine, au cours de la semaine se terminant le 21 avril 2020 pour COVID-19 -ce qui correspond au pic de l’épidémie pour les Etats-Unis vs une semaine de pic épidémique grippal au cours de ces 7 dernières années. Les auteurs estiment :
- 15.455 décès par COVID- recensés aux États-Unis au cours de la semaine se terminant le 21 avril 2020 et 14.478 la semaine précédente ;
- or les décès liés à la grippe pendant la semaine de pic épidémique se situent sur ces 7 dernières années, entre 351 et 1.626 ;
- ainsi le nombre de décès dus à COVID-19 est estimé par les chercheurs entre 10 et 44 fois plus élevé que le nombre de décès lié à la grippe ( et 20 fois en moyenne) ;
- ensuite, le CDC, avec un peu de retard publie également des chiffres provisoires de décès dus à COVID-19 et ces données suggèrent un nombre de décès dus à COVID-19 provisoirement déclarés 14,4 fois supérieur au nombre de décès dus à la grippe au cours d’une semaine de pic épidémique.
- Enfin, la comparaison entre les « environ » 60.000 décès COVID-19 enregistrés aux États-Unis à la fin d'avril 2020 qui suggèrent un multiplicateur de « seulement » 1,0 à 2,6 fois par rapport aux décès liés à la grippe saisonnière estimés par les CDC au cours des 7 dernières années suggère que le CDC surestime considérablement le nombre de décès lié à la grippe et/ou que le nombre de décès confirmés et enregistrés liés à COVID-19 est lui-même largement sous-estimé.
Les décès liés à COVID-19 sous-estimés ? Cette sous-estimation est probable en raison du manque de tests ou des faux-négatifs. Les décès liés à la grippe sont eux-mêmes très probablement sous-déclarés. Il est également possible que certains décès étiquetés COVID-19 ne soient pas liés à COVID-19. Enfin, la surmortalité en cette période COVID-19 n’est pas significative.
La surmortalité intègre probablement des décès en excès liés au report de soins durant le confinement.
COVID-19, un taux de létalité 5 fois plus élevé que celui de la grippe ? Les comparaisons des taux de létalité du SRAS-CoV-2 et de la grippe sont prématurées : la pénurie de tests implique une marge d’erreur considérable sur le nombre de personnes infectées. D’une étude à l’autre soulignent les auteurs, les estimations des taux de létalité liés à COVID-19 varient de moins de 1% à environ 15%. Seules les études sérologiques représentatives de la population générale pourront permettre de préciser le taux de létalité du SRAS-CoV-2. Le Diamond Princess est l'une des rares situations pour lesquelles des données complètes sont disponibles dont le taux de létalité calculé à fin avril de 1,8% (13 décès sur 712 cas), ramené à 0,5% en prenant en compte les caractéristiques d’âge en population générale- à comparer avec un taux moyen de létalité pour la grippe saisonnière de 0,1%.
Sans conclure définitivement, ces chercheurs alertent les autorités de Santé publique sur les dangers à comparer des données qui ne sont pas comparables. Minimiser la virulence du SARS-CoV-2 à l’heure de la reprise économique en prétendant que « ce n'est « qu'une autre grippe », n'est pas possible ».
Cette nouvelle approche d’analyse des données « montre la véritable menace pour la santé publique de COVID-19 ».