RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE : Il explique 20 % de l’incidence de la dengue
2 études présentées lors de l’2024 Annual Meeting of the American Society of Tropical Medicine and Hygiene (ASTMH) tentent d’expliquer et de conjurer la hausse d’incidence de la dengue. Alors que l'année des infections de dengue marque un triste record, une des études révèle que le changement climatique est responsable de 19 % de sa charge croissante. Une deuxième étude révèle comment des moustiques porteurs de la bactérie Wolbachia peuvent astucieusement et préventivement interférer avec la transmission de la maladie.
La maladie est en forte recrudescence : les pays des Amériques ont à eux seuls enregistré près de 12 millions de cas en 2024 vs 4,6 millions en 2023, et des infections contractées localement ont été signalées en Californie et en Floride. L’étude met également en garde contre des augmentations encore plus marquées à venir.
Si certaines infections de la dengue ne produisent que des symptômes bénins, d’autres provoquent des douleurs articulaires atroces et les cas les plus graves peuvent entraîner des complications hémorragiques et un choc septique. Il n’existe pas de médicaments pour traiter la maladie et, bien que 2 vaccins aient été homologués contre la dengue, certains experts alertent sur les limites de leur accès à grande échelle.
Le réchauffement climatique est en effet en cause dans près d’1 cas sur 5 de dengue, et il pourrait déclencher une augmentation supplémentaire de 40 à 60 % d'ici 2050 voire jusqu'à 150 à 200 % dans certaines régions du monde.
Le climat, facteur majeur de recrudescence des maladies vectorielles
La première étude menée par des équipes des universités de Stanford et de Harvard apporte les preuves les plus fiables à ce jour de l’impact du changement climatique et de la nécessité de le considérer, dans les recherches, comme un facteur majeur de recrudescence mondiale de dengue, et plus largement des maladies vectorielles.
L’auteur principal, le Dr Erin Mordecai, expert des maladies infectieuses au Woods Institute for the Environment de Stanford résume : « notre examen des données d’incidence de la dengue et des variations climatiques dans 21 pays d’Asie et d’Amérique aboutit à :
- une relation claire et directe entre la hausse des températures et la hausse des infections ».
- L’analyse révèle que, face à la menace croissante de la dengue, modérer le réchauffement climatique en réduisant les émissions permettrait également de modérer l'incidence de la dengue :
- une forte réduction des émissions, permettrait de ramener à 40 % l’augmentation des zones menacées par une hausse d’incidence estimée à 60 % d’ici 2050 ;
- mais alors que l’ensemble des modèles climatiques mondiaux prédisent que les températures vont continuer d’augmenter même avec de larges interventions, 17 des 21 pays étudiés connaîtront toujours une augmentation de la dengue liée climat, même dans les scénarii les plus optimistes ;
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les moustiques porteurs de la dengue produisent de plus en plus de virus
- au fur et à mesure que les températures augmentent dans une fourchette donnée, soit allant de 20 degrés C à environ 28 ou 29 °C ;
- les zones d’endémie de la dengue qui entrent tout juste dans la zone de 20 à 29 °C propice à la transmission du virus sont les régions confrontées aux plus grands niveaux de risque, avec une incidence en hausse de 150 à 200 % au cours des prochaines décennies ;
- les zones déjà situées à l’extrémité supérieure de la fourchette de température ne subiront en revanche que peu d’impacts climatiques supplémentaires et bénéficieront même peut-être d’une légère diminution ;
- cependant, au moins 257 millions de personnes vivent actuellement dans des endroits où le réchauffement climatique pourrait faire doubler l’incidence de la dengue au cours des 25 prochaines années.
Enfin, ces modélisations sous-estiment probablement la menace de la dengue liée au climat. En effet, les chercheurs n’ont pas été en mesure d’évaluer cet impact climatique pour les zones d’endémie de la dengue qui n’ont pas suivi systématiquement les données d’infections, ce qui comprend l’Afrique subsaharienne et de l’Asie du Sud. L’estimation n’est pas non plus très précise pour les zones « tout juste » menacées par la dengue, comme le sud des États-Unis et de l’Europe.
Face à cette menace croissante, il s’agit de mettre en œuvre toutes les interventions de prévention possibles.
Une deuxième étude apporte un espoir avec la libération de moustiques porteurs d’une bactérie commune appelée Wolbachia. Cette solution innovante pourrait en effet constituer un outil puissant pour conjurer l’intensité des épidémies. L’étude menée par des chercheurs du World Mosquito Program révèle ainsi qu’en 2024, alors que le Brésil luttait contre sa plus grande épidémie de dengue jamais enregistrée,
- une ville, Niterói, d’un demi-million d’habitants proche de Rio de Janeiro, n’a connu qu’une faible augmentation de l’épidémie : les trois quarts de Niterói ont été arrosés de moustiques infectés par Wolbachia, une bactérie naturelle capable d’ inhiber la capacité du moustique à transmettre la dengue et d’autres virus.
- l'incidence de la dengue a chuté à une moyenne de 84 cas pour 100.000 personnes par an vs un taux moyen de 913 cas pour 100.000 personnes par an au cours des 10 années précédant ce recours à Wolbachia ;
- aujourd’hui, l’incidence de la dengue à Niterói reste toujours inférieure de 90 % à celle d’avant le déploiement ;
- Wolbachia se maintient chez les moustiques et semble donc une arme durable, sur plusieurs années, contre la dengue ;
- les moustiques infectés par Wolbachia transmettent la bactérie à leur progéniture, ce qui suggère en effet que son effet protecteur pourrait persister dans la population locale des moustiques pendant de nombreuses années ;
- Wolbachia est enfin sans danger pour les humains, les animaux et l’environnement.
« Au Brésil, nous sommes en train de passer avec Wolbachia d’un test expérimental à une utilisation générale dans la lutte contre la dengue », explique le Dr Luciano Moreira, responsable du projet du World Mosquito Program au Brésil.