CANCER : Pourquoi les mutations le déclenchent dans des organes spécifiques ?
On pourrait imaginer qu’une mutation oncogène puisse induire un cancer dans de nombreux organes. Pourtant, les altérations de certains gènes provoquent le développement d’un cancer uniquement dans des organes spécifiques, rappellent ces scientifiques du German Cancer Research Center (Heidelberg), de l'Université technique de Munich (TUM) et du Centre médical universitaire de Göttingen. Ils démontrent avec ces travaux, publiés dans la revue Cancer Discovery, que les cellules provenant de différents organes sont sensibles, de manière spécifique, aux différentes mutations oncogènes : ainsi, la même mutation conduit à des résultats fondamentalement différents dans les cellules précurseurs du pancréas ou des voies biliaires.
Les scientifiques se concentrent ici sur le cancer du pancréas et des voies biliaires car ce sont deux cancers diagnostiqués tardivement, à mauvais pronostic et pour lesquels aucune thérapie ciblée efficace n'est disponible à ce jour. « Seuls 10% des patients atteints d'un cancer des voies biliaires pancréatiques et extra-hépatiques survivent à 5 ans », rappelle l’auteur principal, le Dr Dieter Saur, professeur de cancérologie et de recherche translationnelle à l'hôpital universitaire de la TUM.
Pour pour améliorer le pronostic de ces cancers, il est essentiel de comprendre les réseaux génétiques fondamentaux et les interactions qui induisent ces tumeurs d'une manière spécifique aux tissus.
C’est sur la souris, que l’équipe de recherche a examiné le développement du cancer des voies biliaires et du pancréas, en remplaçant les « oncogènes » humains PIK3CA et KRAS par une version propre à l’animal. L'expression de ces oncogènes dans les cellules précurseurs communes du canal biliaire extrahépatique et du pancréas conduit à des résultats très différents :
- les souris avec l’équivalent du gène PI3K muté développent principalement un cancer des voies biliaires ;
- les souris avec l’équivalent du gène KRAS muté développent un cancer pancréatique ;
- Or, les 2 gènes sont mutés dans les 2 types de cancer humain ;
Une différence de sensibilité des différents types de tissus aux oncogènes : les chercheurs décryptent ainsi chez la souris des processus génétiques fondamentaux qui sous-tendent une différence de sensibilité des différents types de tissus à la transformation oncogène : certains événements génétiques s’enchaînent pour suractiver la voie de signalisation PI3K, ce qui rend les cellules cancéreuses. D'autres événements génétiques perturbent les protéines régulatrices, inactivant leur capacité à supprimer la progression du cancer.
« Alors pourquoi les altérations de certains gènes provoquent-elles le cancer uniquement dans des organes spécifiques ? »,
s’interroge à nouveau l’auteur principal, le Dr Chiara Falcomat : « notre étude chez la souris contribue à expliquer comment les gènes coopèrent pour provoquer le cancer dans différents organes. Nous identifions les processus moléculaires qui transforment les cellules normales en cellules tumorales et en cancers. Comprendre ces processus ouvre de nouvelles pistes thérapeutiques ».
En fait, il faudrait identifier ces interactions génétiques pour tous les types de cancer pour construire un outil d’aide à la décision thérapeutique plus précis. « Nous identifions déjà des altérations génétiques spécifiques chez la souris ce qui nous permet d'étudier la fonction des gènes du cancer et de modéliser des sous-types de cancer spécifiques. Ces modèles animaux sont inestimables non seulement pour comprendre la cancérogenèse mais aussi pour tester des anticancéreux avant de passer aux essais cliniques ».
En résumé, l'action d'un oncogène est différente selon le type de tissu et les autres gènes modifiés. Un oncogène doit détourner tout un réseau de signalisation, un réseau intrinsèque à chaque tissu, pour induire le développement du cancer. Ce concept selon lequel de multiples interactions génétiques spécifiques aux tissus entraînent ou permettent la progression du cancer démontre que :
aucun gène unique ne peut prédire la réponse d'un cancer à une thérapie particulière.
C’est le fondement de la médecine de précision.
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